Dimanche soir, 20H00, je reçois un coup de téléphone de mon amis Clément. Il me propose le couloir Nord du Mirantin à ski. Le rendez vous est pris pour le lendemain.
Nous nous retrouvons du côté de Molliessoulaz et prenons la direction des Steussets par une piste carrossable. La neige nous empêche ensuite d’aller plus loin et nous continuons à ski. Germain, Jean Loup et Jean Pierre nous accompagnent. Leur objectif est la large face Nord Ouest du Mirantin. Nous arrivons enfin au chalet de Merdaret en même temps que le soleil transperce les nuages. L’ambiance est particulière.
Clément entre soleil et flocon
Il a neigé une vingtaine de centimètres la veille. Sous la neige fraîche, nous sentons un léger fond dur. Nous continuons tranquillement en direction de la face Nord Ouest du Mirantin. Germain passe devant pour tracer. Soudain, tous entendons un premier son sourd et étouffé. Un “wouf”. Nous nous regardons sans dire un mot. La pente est douce, je la mesure à 24°. Puis survient un second “wouf”. Toujours aussi sourd, étouffé et vaste. Impossible à localiser. Le genre de bruit qui glace le sang.
Nous arrivons au pied de la face Nord Ouest sur une légère bosse. Nous en profitons pour boire. Immédiatement, je sors la pelle de mon sac pour effectuer une coupe du manteau neigeux. Nous somme à 2100 mètres d’altitude et je creuse exposé Sud Ouest.
Coupe globale du manteau neigeux sur les 80 premiers centimètres du manteau neigeux
La base du manteau neigeux est constituée d’une neige profondément humidifiée (grains ronds). On retrouve dans cette épaisse couche des anciennes couches de sable rapporté par le vent du sud (couleur marron). C’est typique d’une fin de saison. Sous l’effet du soleil du mois d’avril (et également de la pluie), les grains de neige évoluent jusqu’à leurs dernières formes, le grain rond, juste avant la fonte. La température de cette couche est sensiblement très proche de 0°C. On parle de neige humide(T°C=0). Ensuite, il y a la présence d’une épaisse croûte de regel d’environ 6 centimètres probablement due, à un moment donné, au refroidissement de la surface du manteau neigeux. Une cohésion de regel s’est effectuée sur les grains ronds de surface. (juste avant la dernière chute de neige).
Puis, il y a la dernière couche de neige récente (neige fraîche) tombée la veille.
On note, entre la couche de neige humide et la croûte de regel, une couche de très faible épaisseur (environ 1 centimètre) que l’on distingue nettement sur la photo. Cette couche est constitué de grains plus gros et légèrement anguleux avec beaucoup d’espace entre eux.
De part et d’autre d’une croûte de regel, des fortes différences de température s’effectuent sur des très faibles épaisseurs. Il y a alors localement la présence de très forts gradiens de température (super gradien pouvant aller jusqu’à des valeurs de 600°C/m) qui favorisent le grossissement et l’angulation des grains de neige.
Dans notre cas, cette métamorphose à très fort gradien de température a formé cette couche fragile de faible épaisseur juste en dessous de la croûte de regel.
Couche fragile entre neige humide et croûte de regel
On distingue nettement sur la photo que cette couche est peu dense et constituée de grains avec beaucoup d’espace entre eux. En réalisant le test de compression à la pelle (tap test), il y aura un premier affaissement au sein de la couche de neige récente (couche fragile temporaire) au bout du 6ème coup au niveau du coude. Puis, il y aura un second affaissement au niveau de la couche fragile identifiée au bout du 3ème coup au niveau de l’épaule. L’origine des “woufs” est alors justifié. En effet, ils sont le son d’un affaissement ou d’un effondrement de la couche fragile.
Ces couches fragiles sont difficile à percevoir car elles sont très minces. Et ce sont ces couches fragiles qui, souvent, provoquent des avalanches de plaque en fin de saison. La couche fragile, sous la croûte de regel, s’effondre après amorce de la rupture puis se propage. Ce phénomène de formation de couche fragile à proximité des croûtes de regel est très fréquent en fin de saison avec l’alternance de beau temps et de temps perturbé. D’où l’expression “un petit hiver” au printemps.
Ce matin , le Bulletin d’Estimation du Risque d’Avalanche était de 2 au dessous de 2300 m et de 3 au dessus sur une échelle de 5.
Ce bulletin est à titre indicatif et il doit être adapté en temps réel sur le terrain. Savoir observer (activité avalancheuse, neige sculptée par le vent,…), écouter (wouf) reste primordial. Toutes ces informations prises sur le terrain doivent alerter notre appréciation afin d’adopter un comportement adapter.
Nous décidons alors de ne pas nous engager dans la large face Nord Ouest du Mirantin dont les pentes sont à plus de 30° et de les contourner par le Pas de l’Ane à l’Ouset. Il est possible alors de trouver un cheminement dont les pentes ne dépassent pas les 30°. Malgré tout, nous gardons nos distances de sécurité pour évoluer.
Contournement par le Pas de l’Ane
Nous arrivons enfin au Pas de l’Ane pour profiter d’une ambiance extraordinaire entre soleil et nuage.
Germain et Clément avec la Grande Journée au fond
Germain, Jean Loup et Jean Pierre amorcent leur descente à partir d’ici. Nous continuons, avec Clément, jusqu’au sommet du Mirantin.