Reptation et avalanche de glissement : François Hivert

Depuis quelques jours, les Alpes du nord subissent un grand beau temps avec, comme lundi dernier, un isotherme 0° (altitude à laquelle nous trouvons la température 0°C) plafonnant à 3800 mètres d’altitude.
Dans le massif du Beaufortain, de nombreuses reptations, en tout versant et en toute altitude, sont observables.

En nivologie, la reptation désigne le mouvement lent de l’ensemble du manteau neigeux. Il glisse doucement le long de la pente vers le bas. Ce mouvement lent est caractérisé par la création de fissures sur la totalité de l’épaisseur du manteau neigeux. Ces fissures sont aussi appelées “gueules de baleines” ou “gueules de poissons” (du fait de leurs formes). Elles sont très facile à détecter sur le terrain. Elles sont souvent suivies de plis (si zone de compression) qui peuvent attendre plus de 2 mètres de haut. Ces plis sont creux. La vitesse de déplacement est très variable, de quelques millimètres à quelques mètres par jour. Ce mouvement peut durer des jours, des mois ou même parfois pendant tout l’hiver. La fissure peut s’accélérer soudainement et donner lieu à une avalanche de glissement.

reptation et gueule de baleine (photo: data.avalanche)

reptation et avalanche de glissement (photo: data.avalanche)

reptation et fissure (photo: pisteur Brévent)

Pour que se produise l’avalanche de glissement, certaines conditions doivent être réunies:
– La surface du sol doit être lisse ou de faible rugosité (herbes couchées, dalles rocheuses,…)
– L’inclinaison de la pente doit être suffisante (15° peut déjà suffire).
– L’interface entre la base du manteau neigeux et le sol doit être humide ou mouillée.
Aucune orientation particulière n’est favorable aux avalanches de glissement.

Ces avalanches ne sont pas prévisibles. Les départs sont uniquement spontanés (déclenchement provoqué quasi improbable) et peuvent survenir n’importe quand (jour et nuit). Elles s’annoncent fréquemment par une ouverture accélérée des fissures de glissement, non visible à l’œil nu. Difficilement déclenchable par explosif dans le cadre de protection de pistes de ski ou d’infrastructures, il est cependant possible d’accélérer nettemment le processus jusqu’au déclenchement de l’avalanche. En effet, et pour protéger une piste de ski menacée par une reptation, des pisteurs de la station de Val d’Isère ont humidifié celle-ci par l’amont grâce à des tuyaux d’eaux provenant d’enneigeurs artificiels. Cette méthode s’est révélée concluante car l’avalanche s’est déclenchée.

La vidéo

Une épaisseur conséquente du manteau neigeux favorise l’activité avalancheuse de glissement. Les hivers enneigés seront donc plus concernés par ce phénomène que les hivers à faible enneigement. Ces avalanches peuvent se produire aussi bien dans un manteau neigeux sec (la température de celui-ci est inférieure à 0°) que dans un manteau neigeux humide ( la température de celui-ci est très proche de 0°). Nous parlons donc d’avalanches de glissement “froide” ou “chaude”.

→ Dans le cas d’une avalanche de glissement “froide”, le manteau neigeux se réchauffe et s’humidifie par le bas. En effet, la température de la base du manteau neigeux est toujours très proche de 0° (contrairement au reste du manteau neigeux). Une épaisseur conséquente de celui-ci formera un meilleur isolant et permettra de garder l’interface sol/base du manteau neigeux chaud et humide. Ce processus sera favorisé par un enneigement initial sur sol non gelé (sol chaud avant la première chute de neige de la saison). Il semble que des forces capillaires entre le sol chaud et la base du manteau neigeux constituée de grains fins seraient décisives dans le déclenchement d’avalanche de glissement “froide”. Des recherches sur le sujet sont en cours. Ces avalanches peuvent donc survenir tout au long de l’hiver.
PS: Les variations diurnes de température n’ont donc aucune influence sur les conditions au niveau du sol. Elles influent uniquement sur les conditions de la surface du manteau neigeux.

→ Dans le cas d’une avalanche de glissement “chaude”, l’humidification de l’interface sol/base du manteau neigeux s’effectue par la surface (le manteau neigeux est humide sur toute son épaisseur). L’eau issue de la fonte (pluie, réchauffement,…) s’écoule donc à travers la totalité du manteau neigeux jusqu’au sol. Elles se déclenchent donc plutôt en fin de saison, en fin d’après midi et en début de soirée après réchaufement diurne.

(Source: www.slf.ch)

ATTENTION: Le mécanisme de ce type d’avalanche (avalanche de glissement) est complètement différent du mécanisme d’avalanche de plaque friable et dure (structure de plaque avec couche fragile + couche frittée).

⇒ La situation actuelle est donc très représentative de ce phénomène. L’enneigement est conséquent voir remarquable pour ce début d’hiver. De plus, avant l’arrivée des premières chutes de neige, l’atmosphère était plutôt douce et les premières neiges se sont déposées sur un sol plutôt chaud (non gelé). C’est pour toutes ces raisons que de nombreuses reptations tous versants sont observables ici dans les Alpes du Nord.

En raison de leurs caractères imprévisibles, il est vivement conseillé d’éviter de s’arrêter et de stationner en aval des fissures de reptation.

Je vous souhaite un bel hiver,
A bientôt

François