Aujourd’hui était une journée de récupération. Et pour récupérer, on fait de la peau de phoque entre amis. Direction la pointe du Dard depuis le Planay par l’itinéraire des Latelets, Benjamin m’accompagne. Le brouillard est à couper au couteau. Durant toute la montée, aucune visibilité. C’est à seulement 2300 mètres d’altitude que nous franchissons la barrière de nuage. Le soleil nous caresse le visage. Au sommet, superbe ambiance. Tous les sommets de moins de 2300 mètres d’altitude sont engloutis dans les nuages. Pas de signe de vie du massif des Bauges, ni de celui de la Chartreuse. Seule la pointe Percée perce la mer de nuage coté Aravis.
Comborsier tout juste au dessus de la mer de nuage
C’est en enlevant nos peaux que nous entendons le premier “Wouf”. Un son étouffé et sourd. Impossible à localiser l’origine, ici, la bas? J’essaie de trouver un endroit raide et non exposé pour creuser un trou. Benjamin perçoit un deuxième “wouf”. J’attaque à creuser. Troisième “wouf”, toujours aussi étouffé et puissant. Je suis tout excité à découvrir la structure du manteau neigeux. Nous sommes à 2450 mètres d’altitude exposé Nord Est.
Et voilà le résultat de la coupe.
La base du manteau neigeux (plutôt la base du trou) est constituée d’une épaisse couche de grains fins. Au dessus, il y a une couche de neige regelée de 10 centimètres d’épais puis une seconde couche de grains fins de 15 centimètres d’épais.
C’est la partie supérieure qui nous intéresse. En effet, il y a une seconde croûte de regel nettement plus fine que la première et, au dessus, une couche de neige roulée (1 à 3 centimètres d’épais) mélangée à des grains de sable provenant du vent du sud. La dernière couche du haut est constituée de grains fins ramenés par le fort vent de ce weekend. La couche est peu épaisse, 15 à 20 centimètres, et extrêmement dure (plaque dure).
Détail de la partie supérieure de la coupe
La neige roulée se forme pendant les périodes tempétueuses à l’intérieur du nuage. Ce sont des micros gouttelettes d’eaux en surfusion (température négative) qui, au contacte d’un cristal de glace, gèlent instantanément. Ce phénomène se répète plusieurs fois sur le même cristal jusqu’à que toute la surface du cristal soit recouverte de micro gouttelettes de glace. On obtient alors la forme particulière de la neige roulée ressemblant à une boule du mimosa.
Neige roulée présente dans le manteau neigeux
Neige roulée prisonnière de la couche frittée supérieure
Une couche de neige roulée est inoffensive sans couche supérieure. En revanche, lorsqu’elle est recouverte d’une seconde couche de neige (couche frittée), elle joue le rôle de couche fragile. Il y a alors une structure de plaque. Dans notre cas, elle est recouverte d’une couche de grains fins ramenés et compactés par le vent (plaque dure). C’est ce qu’on appelle une “plaque à vent”. La couche fragile constituée de neige roulée est une couche qui va être permanente tout au long de l’hiver. On parle de couche fragile durable ou permanente. Elle joue un rôle décisif dans le mécanisme de déclenchement d’avalanche. Rappelez vous:
https://www.beaufortain-guide.fr/risque-4/
Cette couche fragile est indécelable au test du bâton. On ne peut pas sentir la faible résistance de la couche car elle est située juste au dessus d’une croûte de regel.
L’origine de nos “wouf” est donc justifié. Le “wouf” n’est ni plus, ni moins le son de la couche fragile qui s’effondre ou qui s’affaisse. Ce son est indicateur et doit alerter notre appréciation. Impatient de faire un test de stabilité de compression à la pelle (tap test), je suis persuadé que la couche fragile va s’effondrer et que la rupture va se propager. Au bout des 30 coups, aucun effondrement…
La neige est vraiment une matière imprévisible!