Suite à cet épisode météorologique très actif, des chutes de neige plus que significatives en altitude associées à des redoux bien marqués, le massif du Beaufortain a subi une activité avalancheuse bien marquée. En effet, une multitude d’avalanches de plaques récentes, essentiellement en versant Est, à des altitudes se situant au dessus de 2000 mètres, ont été observées. La crue avalancheuse semble avoir atteint son paroxysme à la mi-journée du 24 décembre, dernier jour de l’épisode perturbé. Ce jour là, la limite pluie-neige est montée à des altitudes proches de 2400 mètres.
Légette du Mirantin, face Est. Avalanche observée le 25 décembre 2019
Point de Lavouet, face Est, observée le 25 décembre 2019
Pointe du Dard, contre pente Est, observée le 25 décembre 2019
Pour comprendre le phénomène, nous avons réalisé 2 coupes grossières du manteau neigeux le 26 décembre 2019.
1/ Coupe du manteau neigeux secteur Grand Mont, altitude 2350m, versant: Nord
A cet endroit, nous avons relevé une épaisseur totale du manteau neigeux de 3 mètres, ce qui reste remarquable pour l’époque.
→ Nous notons la présence d’une épaisse croûte de regel à la surface du manteau neigeux. Cette croûte résulte de l’humidification de la surface du manteau neigeux suite aux redoux (pluie) du mardi 24 décembre suivie du regel nocturne de la nuit du 25 décembre (nuit claire).
→ Nous notons également la présence d’une couche constituée de faces planes majoritaires et de grains fins minoritaires. Cette couche est enfouie 60 centimètres sous la surface du manteau neigeux. C’est une couche fragile. Il y a donc la présence d’une structure de plaque (couche fragile surmontée d’une couche frittée). Cette couche fragile sera peu active pour 2 raisons:
– Elle est constituée de grains fins minoritaires. La propagation de rupture sera difficile.
– Amorcer une rupture dans cette couche semble vraiment délicat. En effet, l’épaisse croûte de regel présente à la surface ainsi que les quasi 60 centimètres de grains fins ventés situés entre la croûte et la couche fragile amortiront les contraintes.
Le test de la colonne isolée (tap test) sera ensuite négatif. Aucune rupture amorcée dans cette couche fragile.
⇒ Dans ce cas, la croûte de regel joue un rôle déterminant et favorable dans le mécanisme de déclenchement d’avalanche de plaque. Elle va plutôt avoir tendance à absorber les contraintes (nouvelles surcharges: skieurs, neige,…) et donc empêcher toute amorce de rupture dans la couche fragile sous-jacente. Elle influe positivement sur la stabilité du manteau neigeux car la couche supérieure sera difficilement déclenchable.
2/ Coupe du manteau neigeux secteur Grand Mont, altitude 2350m, versant: Est
A cet endroit, nous avons relevé une épaisseur totale du manteau neigeux de 3,20 mètres, ce qui reste remarquable pour l’époque.
→ Nous notons une couche relativement bien enfouie dans le manteau neigeux (plus d’un mètre). Elle est constituée de grains fins et de neige roulée. Dans certains cas, la neige roulée disposée en couche, fait office de couche fragile, mais n’est jamais “performante”. Dans notre cas, elle est suffisamment enfouie pour qu’un skieur ne vienne amorcer une rupture. (Pour rappel, un skieur influe uniquement sur le premier mètre de l’épaisseur du manteau neigeux). En revanche, une humidification profonde pourra activer cette couche. Cela reste malgré tout peu probable.
Neige roulée observée dans la couche
La neige roulée se forme pendant les périodes tempétueuses à l’intérieur du nuage. Ce sont des micros gouttelettes d’eaux en surfusion (température négative) qui, au contacte d’un cristal de glace, gèlent instantanément. Ce phénomène se répète plusieurs fois sur le même cristal jusqu’à ce que toute la surface du cristal soit recouverte de micro gouttelettes de glace. On obtient alors la forme particulière de la neige roulée ressemblant à une boule du mimosa. Une fois enfouie dans le manteau neigeux, la neige roulée ne subira presque plus aucune métamorphose.
→ Nous notons aussi la présence de 2 croûtes de regel successives à la surface du manteau neigeux. La première (1) juste à la surface et la deuxième (2) très peu enfouie à environ 20/30 centimètres selon l’endroit. Elles résultent également des redoux successifs des derniers jours.
Focus sur la surface du manteaux neigeux
Une croûte de regel résulte d’une humidification (longue période anticyclonique, pluie, élévation de la température). Par définition, la température de part et d’autre de croûtes de regel est très proche de 0°C. De forts gradients de température s’appliquent localement (surtout lorsqu’elles sont enfouies). Nous parlons alors de “super gradient”. De très minces couches fragiles se créent ici invisible à l’œil nu. Ces couches fragiles sont très actives (amorce de rupture et propagation facile).
⇒ Dans notre cas, nous n’avons pas pu mettre en évidence le rôle actif de ces couches fragiles très fines, mais il est très probable (pour la croûte de regel 2 la plus enfouie) qu’elle soit la cause des très nombreux déclenchements spontanées d’avalanches du mardi 24 décembre lors du dernier jour de l’épisode perturbé. En effet, la croûte de regel 1 à la surface n’existait pas encore le matin du 24 décembre (elle est apparue plus tard lors de la nuit du 25 décembre grâce au regel nocturne). La couche de neige (environ 30 centimètres) situé en dessus de la croûte de regel 2 provient des chutes de neige de la nuit et du matin du 24 décembre. Ensuite, la pluie est remontée en fin de matinée (jusqu’à 2400 mètres d’altitude). Cette couche de neige récente a donc subit une forte humidification. Cette humidification a eu comme conséquence logique l’augmentation de la masse volumique de celle-ci, donc l’augmentation des contraintes exercées (surpression dynamique) sur la fine couche fragile située à proximité de la croûte de regel 2.
Cette conclusion, pour expliquer les nombreux départs spontanés d’avalanche de plaque du 24 décembre, reste évidemment une supposition.
Quand est-il de la croûte de regel 1 située à la surface du manteau neigeux?
⇒ Aujourd’hui 27 décembre, nous subissons de nouvelles chutes de neige (environ 15 à 20 centimètres prévus sur le Beaufortain) sur la croûte de regel. Une nuit claire (donc froide) est prévue. Un gradien de température élevé va se mettre en place. En effet, la différence de température entre:
– celle de part et d’autre de la croûte de regel (très proche de 0°C)
– et celle de la surface de la neige nouvelle (très négative due au refroidissement de la nuit claire)
+ le tout associé à la faible épaisseur de la neige nouvelle (15 à 20 cm)
== Un gradien élevé, probablement supérieur à 20°C/m
Les fines couches fragiles situées à proximité de la croûte de regel seront donc très actives.
De surcroît, l’isothèrme 0°C (altitude à laquelle nous retrouvons la température 0°C) annoncé à 3000 mètres d’altitude pour la journée de demain va provoquer une humidification de la neige nouvelle. Les contraintes exercées sur les fines couches fragiles seront donc plus fortes (augmentation de la masse volumique).
Pour conclure, la situation de la journée de demain sera presque identique à la situation du 24 décembre mais à une échelle bien moindre.
Je vous souhaite une bonne saison de ski
A bientôt
François